Photographier en Normandie (1840-1890) - Un dialogue pionnier entre les arts
du 25 mai au 22 septembre 2024
Présentée au MuMa, l’exposition « Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts » a l’ambition de mettre en lumière le rôle décisif qu’a joué la Normandie dans les débuts de la photographie.
Exposer des photographies à l’occasion de la 5e édition de Normandie Impressionniste et spécialement pour les 150 ans du mouvement, a tout son sens, tant peinture et photographie ont entretenu des liens étroits, sous-tendus par un esprit d’invention, d’émulation et d’innovation qui présida au renouvellement et à la multiplication des images au XIXe siècle.
Exposer des photographies à l’occasion de la 5e édition de Normandie Impressionniste et spécialement pour les 150 ans du mouvement, a tout son sens, tant peinture et photographie ont entretenu des liens étroits, sous-tendus par un esprit d’invention, d’émulation et d’innovation qui présida au renouvellement et à la multiplication des images au XIXe siècle.
1 - Portraits et mises en scène
On peut s’interroger sur la singularité du portrait photographique normand. Seule la ville de Paris avec sa concentration d’ateliers prestigieux et de célébrités nationales et internationales
possède une indéniable spécificité dans ce domaine. En quoi les figures photographiées des Normands dessinent-elles néanmoins un portrait de leur région ? S’il est indéniable qu’il n’existe pas de Nadar havrais ou de Carjat rouennais et que l’immense majorité de la production de portraits a surtout un intérêt sociologique et documentaire, il n’en demeure pas moins qu’il en existe de très remarquables. Ils nous disent l’histoire d’ateliers importants comme Witz, Autin ou Espagnet présents dès les années 1840 dans les villes normandes.
Ces portraits donnent des visages : à la jeune normande figée dans son costume traditionnel face à l’objectif d’Humbert de Molard, à Gaspard Adolphe Souquet de La Tour, venu de Pointel (Orne), et qui lève les yeux au ciel devant celui d’Autin, au couple des Arsonnet personnifiant à merveille la bourgeoisie rouennaise, au très renommé docteur Eugène Nicolle posant parmi ses objets d’étude, à la courageuse Rose Anaïs, héroïque garde-malade de Fécamp, à Stéphanie Quibel-Breton dont l’autoportrait est trop modeste pour son talent.
On peut trouver beaucoup de parenté entre ces portraits et le choix et l’attitude des modèles de Cézanne et Van Gogh.
L’exil anglo-normand de la famille Hugo, qui de ce fait a échappé aux grands talents parisiens, a permis leur rencontre avec Edmond Bacot qui dut se déplacer pour les photographier à Hauteville House (Guernesey) en juillet 1862, quelques semaines avant la parution des Misérables. Toutes ces figures individuelles en intérieur contrastent avec les travaux des photographes amateurs. Ils se distinguent plutôt par des portraits romancés, scénarisés, théâtralisés. Les scènes de genre agencées par Humbert de Molard avec le concours de son entourage font désormais partie de l’histoire de la photographie au même titre que les arrangements d’objets d’Hippolyte Bayard tandis que celles de la famille Olry ou d’Alfred Coulon évoquent la pratique des amateurs parisiens mais fréquentant la Normandie comme les Montault, Périer, Aguado.
Ces artifices finissent par se retrouver dans des propositions commerciales faites pour attirer les touristes ou les artistes de passage : ainsi de ces pêcheuses de crevettes semblant sorties tout droit d’une toile d’Eugène Le Poittevin.
possède une indéniable spécificité dans ce domaine. En quoi les figures photographiées des Normands dessinent-elles néanmoins un portrait de leur région ? S’il est indéniable qu’il n’existe pas de Nadar havrais ou de Carjat rouennais et que l’immense majorité de la production de portraits a surtout un intérêt sociologique et documentaire, il n’en demeure pas moins qu’il en existe de très remarquables. Ils nous disent l’histoire d’ateliers importants comme Witz, Autin ou Espagnet présents dès les années 1840 dans les villes normandes.
Charles GOMBERT, Rose Anaïs, 1868, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 30 x 23,5 cm. Bibliothèque municipale. Bibliothèque municipale de Fécamp
On peut trouver beaucoup de parenté entre ces portraits et le choix et l’attitude des modèles de Cézanne et Van Gogh.
Hippolyte BAYARD, Île Perrache, 1851, tirage sur papier salé d’après négatif sur papier, 23,1 x 32,5 cm. coll. SFP. Collection de la Société française de photographie
Ces artifices finissent par se retrouver dans des propositions commerciales faites pour attirer les touristes ou les artistes de passage : ainsi de ces pêcheuses de crevettes semblant sorties tout droit d’une toile d’Eugène Le Poittevin.
2 - au Havre, sur la jetée Nord
Parmi les défis qui restent à relever vers 1850, celui de l’instantanéité attise l’ingéniosité des photographes. En tirant parti des propriétés de produits chimiques employés pour améliorer la
sensibilité du daguerréotype, ils parviennent à réduire de plusieurs minutes à une seconde à peine le temps de pose : il devient possible de saisir en un instant un objet en mouvement.
En dix ans d’itinérance de New York à Montréal, Louis Cyrus Macaire (1807-1871) a mis au point son procédé de daguerréotype instantané. Quand il rejoint au Havre, à l’été 1850, son frère Hippolyte, peintre installé sur la jetée Nord, il ne leur reste plus qu’à appliquer aux marines le procédé que Cyrus réservait aux seuls portraits.
L’engouement est immédiat : « Deux artistes […] ont trouvé le secret de saisir sur la jetée tous les navires au passage et de les reproduire en une seconde avec une vérité, une animation maritime qui feraient le désespoir du crayon le plus habile » (Joseph Morlent, Revue du Havre, 21 août 1851).
Ces daguerréotypes instantanés sont présentés en octobre 1851 à l’Académie des sciences : leur netteté est saluée, les critiques reconnaissent leur supériorité aux calotypes réalisés par Edmond Bacot à Lion-sur-Mer. Mais le secret jalousement gardé de leur fabrication nuit à la renommée des Macaire. Des quatre daguerréotypes aujourd’hui repérés de cette série, deux sont réunis dans l’exposition.
Le Tout-Paris s’entiche des « Marines- Vivantes » havraises, désormais reproductibles, grâce à un négatif sur plaque de verre, adopté en 1852-1853 par Jean-Victor Warnod, le 3e frère
Macaire, tandis que peintres et graveurs, comme Louis Le Breton, y trouvent des sources d’inspiration.
Terrain d’élection pour les photographes de marine, la jetée nord du Havre qui prolongement de la tour François Ier, donne naissance à des motifs répétés qui deviennent emblématiques
de la ville. Eugène Boudin en donne une interprétation toute personnelle en 1852, tournant le dos à la mer, point de vue qu’adopte aussi un calotype d’Édouard Fortin, en 1857.
En revanche, la jetée est systématiquement associée à l’océan, et la plupart du temps à la tour François Ier, par les Macaire-Warnod, dont l’atelier se dresse in-situ.
C’est sans doute pour s’en démarquer que les vues réalisées par les autres photographes venus officier au Havre évitent souvent la tour et privilégient la sortie du port vers l’ouest,
marquée par le phare de la jetée. La magistrale vue de Le Gray figurant le soir trois navires franchissant le môle, celles d’Émile Colliau, d’Onésipe Aguado ou d’Auguste Autin peuvent en témoigner.
sensibilité du daguerréotype, ils parviennent à réduire de plusieurs minutes à une seconde à peine le temps de pose : il devient possible de saisir en un instant un objet en mouvement.
Emile-André LETELLIER, L'ouragan, Vue prise de la plage sur la mer agitée avec un bateau passager à roues à aube, 1883, tirage sur papier albuminé d’après négatif au gélatino-bromure d’argent, 31,1 x 22,5 cm. Le Havre Archives Municipales
L’engouement est immédiat : « Deux artistes […] ont trouvé le secret de saisir sur la jetée tous les navires au passage et de les reproduire en une seconde avec une vérité, une animation maritime qui feraient le désespoir du crayon le plus habile » (Joseph Morlent, Revue du Havre, 21 août 1851).
Ces daguerréotypes instantanés sont présentés en octobre 1851 à l’Académie des sciences : leur netteté est saluée, les critiques reconnaissent leur supériorité aux calotypes réalisés par Edmond Bacot à Lion-sur-Mer. Mais le secret jalousement gardé de leur fabrication nuit à la renommée des Macaire. Des quatre daguerréotypes aujourd’hui repérés de cette série, deux sont réunis dans l’exposition.
Attribué à Jean-Victor WARNOD, Jetée du Nord avec les chalets des photographes, 1857-1858, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 45,5 x 35,1 cm. Le Havre Archives Municipales
Macaire, tandis que peintres et graveurs, comme Louis Le Breton, y trouvent des sources d’inspiration.
Terrain d’élection pour les photographes de marine, la jetée nord du Havre qui prolongement de la tour François Ier, donne naissance à des motifs répétés qui deviennent emblématiques
de la ville. Eugène Boudin en donne une interprétation toute personnelle en 1852, tournant le dos à la mer, point de vue qu’adopte aussi un calotype d’Édouard Fortin, en 1857.
En revanche, la jetée est systématiquement associée à l’océan, et la plupart du temps à la tour François Ier, par les Macaire-Warnod, dont l’atelier se dresse in-situ.
C’est sans doute pour s’en démarquer que les vues réalisées par les autres photographes venus officier au Havre évitent souvent la tour et privilégient la sortie du port vers l’ouest,
marquée par le phare de la jetée. La magistrale vue de Le Gray figurant le soir trois navires franchissant le môle, celles d’Émile Colliau, d’Onésipe Aguado ou d’Auguste Autin peuvent en témoigner.
3 - Face à la mer
Registre pictural de longue date pratiqué par les peintres, singulièrement en Normandie, comme Théodore Gudin ou Louis Gamain, les marine demeurent longtemps pour les photographes un tour de force : comment saisir à la fois les mouvements de la mer et des bateaux, les subtilités des ciels, la luminosité du soleil ? À la merci des éléments, l’exercice exige une technique éprouvée et une sensibilité artistique affirmée.
Si on excepte les vues réalisées à Lion-sur- Mer par Edmond Bacot en 1850, Le Havre est en Normandie un point focal qui attire les photographes les plus aguerris désireux de
réaliser des marines. La lumière de l’estuaire combinée à l’orientation géographique, le ballet des navires qui croisent au large, leurs effets de vapeurs et leurs voiles sont les ingrédients et motifs que tout photographe ambitieux souhaite parvenir à saisir.
Dans le sillage des frères Macaire et Warnod, ils viennent parfaire leur technique pour immortaliser ciels changeants, et les « marines mouvantes » qui font fureur à Paris comme à Londres : en 1856 et 1857, Gustave Le Gray produit au Havre parmi ses plus belles marines de grand format, tel le Brick au clair de lune, avec lequel le Sea and sky de Cyrus Macaire tente de rivaliser dans les expositions photographiques internationales. Les études de ciels et de mer d’Eugène Boudin puisent aux mêmes sources, tout comme les Bateaux en mer au soleil couchant, d’Édouard Manet (1868).
Près d’une jetée, les motifs de la vague, du vapeur qui évolue au loin sont déclinés par de talentueux amateurs : Émile Colliau, élève de Le Gray, se fait remarquer en 1859 à l’exposition de la Société française de photographie pour ses marines havraises, puis en 1861, c’est au tour de Raoul Autin, venu de Caen de s’installer au Havre. Alfred Coulon, quant à lui, s’essaie aussi aux compositions et ciels rapportés, technique mise au point par Le Gray, qui consiste à combiner deux négatifs, l’un pour le ciel, l’autre pour la mer.
Si on excepte les vues réalisées à Lion-sur- Mer par Edmond Bacot en 1850, Le Havre est en Normandie un point focal qui attire les photographes les plus aguerris désireux de
réaliser des marines. La lumière de l’estuaire combinée à l’orientation géographique, le ballet des navires qui croisent au large, leurs effets de vapeurs et leurs voiles sont les ingrédients et motifs que tout photographe ambitieux souhaite parvenir à saisir.
Gustave LE GRAY (1820-1884), Le Brick au clair de lune, 1856, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur plaque de verre au collodion, 32,2 x 41,5 cm. Paris - Musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Patrice Schmidt | Édouard MANET, Bateaux en mer, soleil couchant, vers 1868, huile sur toile, 47,5 x 98,5 cm. Le Havre. MuMa Le Havre / David Fogel |
Dans le sillage des frères Macaire et Warnod, ils viennent parfaire leur technique pour immortaliser ciels changeants, et les « marines mouvantes » qui font fureur à Paris comme à Londres : en 1856 et 1857, Gustave Le Gray produit au Havre parmi ses plus belles marines de grand format, tel le Brick au clair de lune, avec lequel le Sea and sky de Cyrus Macaire tente de rivaliser dans les expositions photographiques internationales. Les études de ciels et de mer d’Eugène Boudin puisent aux mêmes sources, tout comme les Bateaux en mer au soleil couchant, d’Édouard Manet (1868).
Près d’une jetée, les motifs de la vague, du vapeur qui évolue au loin sont déclinés par de talentueux amateurs : Émile Colliau, élève de Le Gray, se fait remarquer en 1859 à l’exposition de la Société française de photographie pour ses marines havraises, puis en 1861, c’est au tour de Raoul Autin, venu de Caen de s’installer au Havre. Alfred Coulon, quant à lui, s’essaie aussi aux compositions et ciels rapportés, technique mise au point par Le Gray, qui consiste à combiner deux négatifs, l’un pour le ciel, l’autre pour la mer.
4 - Sur la plage
Depuis le début du siècle, les côtes normandes ont attiré les artistes. Après les peintres et les dessinateurs voici les premiers photographes capables de dompter les difficultés techniques
induites par le plein air et par les caprices de la lumière, tels Henri Le Secq sur les falaises dieppoises ou Gustave Le Gray, sur le rivage havrais.
Mais les villégiatures établies dans les bourgades de la côte recèlent d’autres raisons de leur présence en Normandie, qu’ils profitent en famille de la douceur de vivre, ou s’installent comme professionnels pour capter une clientèle touristique. Pourvu qu’une promotion soit assurée par quelques célébrités comme Alphonse Karr ou la reine Marie-Christine d’Espagne, les plages révèlent de bonnes raisons de photographier.
Parmi les acteurs du développement de la vie balnéaire normande, haute société et bourgeoisie du Second Empire, figurent des photographes amateurs comme le juriste parisien Alfred Coulon, l’officier de marine Albert Jeanrenaud, ou le savant photographe Abel Niépce de Saint-Victor. Plus accessibles depuis Paris que Biarritz, les villégiatures normandes profitent des « trains de plaisir » qui amènent à Cabourg, Sainte-Adresse ou Houlgate, une population essentiellement parisienne, qu’Eugène Boudin peint aussi, à Trouville, et qu’Alphonse Mauduit photographie, à Dieppe.
« La société d’élite » dont se compose cette clientèle touristique française ou britannique, friande de vues pittoresques ou stéréoscopiques des environs, de portraits souvenirs, gravite autour des établissements de bains et des casinos, que l’éveil au tourisme favorise. Des photographes professionnels, souvent saisonniers, s’y fixent, tels Haglon à Eu- Le Tréport, Parkinson et Jugelet à Dieppe, Gombert à Fécamp, Villette à Deauville, Warnod et Caccia au Havre, Lepetit à Trouville.
Au bazar des bains de Dieppe, Jean Jugelet, élève de Gudin, produit : « ces charmantes compositions, où les groupes de personnages photographiés s’encadrent harmonieusement dans un paysage qui représente toujours un des aspects les plus pittoresques de notre littoral maritime » (Le Journal des baigneurs, 30 juillet 1863).
Destinée à loger cette nouvelle population de passage, la construction des villas sur la côte n’échappe pas aux objectifs de Franck à Veulesen- Caux, d’Eugène Nicolas à Trouville, d’Alfred Boulland entre Dives et Beuzeval-Houlgate. À Cabourg, l’amateur fortuné Alfred Coulon fait construire la sienne, objet de ses expériences photographiques qui le conduisent en famille jusqu’à Saint-Aubin-sur-Mer en 1861.
Sujets pour les photographes, comme pour les peintres, les sites remarquables battus par les flots attisent la curiosité. Henri Le Secq immortalise les falaises de la côte d’albâtre, Gustave Courbet magnifie les vagues à Étretat, dont le statut iconique se fixe grâce aux photographies d’Alphonse Davanne, de Bayard et Bertall mêlant caïques de pêcheurs et crinolines.
induites par le plein air et par les caprices de la lumière, tels Henri Le Secq sur les falaises dieppoises ou Gustave Le Gray, sur le rivage havrais.
Hippolyte BAYARD et Charles Albert d'ARNOUX dit BERTALL, Estivants sur la plage d'Etretat, vers 1855, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 17,3 x 25 cm. Collection Pascal Servain
Parmi les acteurs du développement de la vie balnéaire normande, haute société et bourgeoisie du Second Empire, figurent des photographes amateurs comme le juriste parisien Alfred Coulon, l’officier de marine Albert Jeanrenaud, ou le savant photographe Abel Niépce de Saint-Victor. Plus accessibles depuis Paris que Biarritz, les villégiatures normandes profitent des « trains de plaisir » qui amènent à Cabourg, Sainte-Adresse ou Houlgate, une population essentiellement parisienne, qu’Eugène Boudin peint aussi, à Trouville, et qu’Alphonse Mauduit photographie, à Dieppe.
Eugène BOUDIN (1824-1898), Scène de plage à Trouville, vers 1865, crayon noir, 39 x 47,5 cm. Le Havre. MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Au bazar des bains de Dieppe, Jean Jugelet, élève de Gudin, produit : « ces charmantes compositions, où les groupes de personnages photographiés s’encadrent harmonieusement dans un paysage qui représente toujours un des aspects les plus pittoresques de notre littoral maritime » (Le Journal des baigneurs, 30 juillet 1863).
Destinée à loger cette nouvelle population de passage, la construction des villas sur la côte n’échappe pas aux objectifs de Franck à Veulesen- Caux, d’Eugène Nicolas à Trouville, d’Alfred Boulland entre Dives et Beuzeval-Houlgate. À Cabourg, l’amateur fortuné Alfred Coulon fait construire la sienne, objet de ses expériences photographiques qui le conduisent en famille jusqu’à Saint-Aubin-sur-Mer en 1861.
Sujets pour les photographes, comme pour les peintres, les sites remarquables battus par les flots attisent la curiosité. Henri Le Secq immortalise les falaises de la côte d’albâtre, Gustave Courbet magnifie les vagues à Étretat, dont le statut iconique se fixe grâce aux photographies d’Alphonse Davanne, de Bayard et Bertall mêlant caïques de pêcheurs et crinolines.
5 - Dans les ports
Sièges d’une activité économique et commerciale en plein essor, les ports normands du mitan du XIXe siècle regorgent d’une agitation propice à créer des scènes pittoresques et picturales. Navires, quais, marées sont un théâtre et des acteurs en constant mouvement. Le va-et-vient des charrettes et la circulation des marchandises laissent sur les quais de fantomatiques traînées parce que le temps de pose des photographies empêche de les saisir avec netteté. Mais photographier les ports sert aussi d’utile documentation pour pouvoir les peindre.
Par leur courbure ou leurs hauts murs rectilignes, les quais offrent des points de vue aux plans multiples.
À Rouen, l’une des rares femmes photographe en Normandie, Stéphanie Breton, signe des vues des rives de la Seine qui font écho à celle qu’Hippolyte Bayard produit en 1851 : s’y
déploie la profondeur des quais toute entière vouée à une activité que Camille Pissarro retranscrira à son tour. À l’inverse, prenant le contrepied de beaucoup d’autres, Gustave Le Gray se confronte au Grand-quai du Havre, le faisant presque disparaître, saisissant comment le coeur battant de la ville débouche directement sur le bassin à marée haute.
À Dieppe vers 1853, Henri Le Secq est fasciné par les effets produits au creux des bassins du port par la marée basse ; esquivant la question du mouvement des eaux, ses calotypes fixent des études de voiles et les volumes des quais, les reflets sur la vase. Dix ans plus tard, Alfred Magny qui signe probablement les vues de Granville collectées par Alfred Coulon tire parti d’une position élevée sur les toits pour esquisser un panorama à marée basse.
Témoignant d’une recherche picturale, ces vues de ports normands sont régulièrement présentées par leurs auteurs à la Société française de photographie à Paris, mais sont aussi exposées en Angleterre, comme celles d’Onésipe Aguado. La haute société urbaine plus attirée par le yachting que par les bains de mer préfère parfois le port au rivage. Les vues produites par le richissime vicomte, vraisemblablement réalisées à bord d’un navire offrent de nouveaux points de vue du Havre dont la destinée transatlantique s’affirme.
Car les ports normands voient aussi passer les voyageurs ; en route pour leur Grand tour en Europe, pour Paris, comme d’Henry Fox Talbot, ou pour les bains de Dieppe, comme d’Edward King Tenison, les Anglais qui y transitent sont pour certains d’habiles photographes.
Les forêts de voiles et de mâts emplissant les bassins de Fécamp, photographiées par Charles Gombert en 1867, mais aussi les chantiers navals où s’amoncellent les grumes de bois,
peints par Berthe Morisot, résument aussi l’essence maritime des ports. Les photographes s’empressent de saisir alors la coexistence des voiles et des vapeurs annonciatrice des chantiers d’agrandissement entrepris pour en accroître la capacité d’accueil.
Par leur courbure ou leurs hauts murs rectilignes, les quais offrent des points de vue aux plans multiples.
Camille PISSARRO (1831-1903), Port de Rouen, Saint-Sever, 1896, huile sur toile, 65,5 x 92,2 cm. Paris - Musée d’Orsay - legs Enriqueta Alsop au nom du Dr Eduardo Mollard -1972. RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Franck Raux
déploie la profondeur des quais toute entière vouée à une activité que Camille Pissarro retranscrira à son tour. À l’inverse, prenant le contrepied de beaucoup d’autres, Gustave Le Gray se confronte au Grand-quai du Havre, le faisant presque disparaître, saisissant comment le coeur battant de la ville débouche directement sur le bassin à marée haute.
À Dieppe vers 1853, Henri Le Secq est fasciné par les effets produits au creux des bassins du port par la marée basse ; esquivant la question du mouvement des eaux, ses calotypes fixent des études de voiles et les volumes des quais, les reflets sur la vase. Dix ans plus tard, Alfred Magny qui signe probablement les vues de Granville collectées par Alfred Coulon tire parti d’une position élevée sur les toits pour esquisser un panorama à marée basse.
Auguste Rosalie BISSON et Louis Auguste BISSON, Rouen, le port maritime, près du pont suspendu, 1857, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 32 x 44, 5 cm. Collection Pierre Gaston
Car les ports normands voient aussi passer les voyageurs ; en route pour leur Grand tour en Europe, pour Paris, comme d’Henry Fox Talbot, ou pour les bains de Dieppe, comme d’Edward King Tenison, les Anglais qui y transitent sont pour certains d’habiles photographes.
Les forêts de voiles et de mâts emplissant les bassins de Fécamp, photographiées par Charles Gombert en 1867, mais aussi les chantiers navals où s’amoncellent les grumes de bois,
peints par Berthe Morisot, résument aussi l’essence maritime des ports. Les photographes s’empressent de saisir alors la coexistence des voiles et des vapeurs annonciatrice des chantiers d’agrandissement entrepris pour en accroître la capacité d’accueil.
6 - Monumental
Les qualités d’enregistrement de la photographie ont été particulièrement appliquées à la reproduction du patrimoine architectural. Son essor accompagne celui de l’histoire de l’art comme discipline scientifique et le souci de la préservation des monuments remarquables après les destructions, les pillages et les négligences des décennies précédentes. Tout s’est conjugué pour lier l’intérêt des historiens, des architectes, des connaisseurs au savoir-faire des photographes professionnels et amateurs.
La mission héliographique qui marque le début de cette alliance qui n’a jamais cessé depuis, est le nom donné à la commande passée en 1851 par Prosper Mérimée pour la commission des Monuments historiques à cinq photographes. On leur demande de photographier une liste de monuments considérés comme les plus importants. C’est à Hippolyte Bayard, ami de Brébisson et d’Humbert de Molard, qu’échoit la région normande. Mais il est remarquable que tous les autres, Le Gray, Mestral, Baldus et Le Secq soient tous par la suite passés par la Normandie pour en fixer des sites ou monuments.
La représentation d’un édifice dans son contexte, dans son ensemble et ses détails significatifs est alors une prouesse technique. Les grandes vues de la façade de la cathédrale de Rouen par les frères Bisson surprennent toujours les photographes des monuments historiques aujourd’hui. Les représentationsalors sont parfois imprégnées de la sensibilité romantique des innombrables lithographies et aquarelles qui mêlent pittoresque et relevé scientifique, art et science, excursion daguerrienne et archéologique. L’intrusion émouvante du hasard : l’énorme tas de fumier devant la façade de l’abbaye d’Ardenne, les passants, les affiches, les carrioles, les chevaux qui s’ébrouent, les marchés sont la marque de la photographie.
Depuis les premiers essais de Brébisson à Falaise, le voyage de John Ruskin en 1848, le flot des photographes ne s’est jamais tari. L’ensemble des merveilles insérées dans le tissu urbain ou faisant la beauté de sites naturels comme Château-Gaillard ou le Mont-Saint-Michel a été dûment enregistrée par les plus grands et les meilleurs. Les monuments civils et religieux de Caen et de Rouen se taillent la part du lion. Les motifs les plus représentés par les photographes et les peintres sont le chevet de l’église Saint-Pierre de Caen joliment baigné par l’Odon et la façade de la cathédrale de Rouen.
Claude MONET (1840-1926), La Cathédrale de Rouen. Le Portail vu de face, 1892, huile sur toile, 107 x 74 cm. Paris. RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Patrice Schmidt
Auguste Rosalie BISSON et Louis Auguste BISSON, Cathédrale de Rouen, portail et son couronnement, 1858, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 45,2 x 35,1 cm. Bibliothèque nationale de France
Depuis les premiers essais de Brébisson à Falaise, le voyage de John Ruskin en 1848, le flot des photographes ne s’est jamais tari. L’ensemble des merveilles insérées dans le tissu urbain ou faisant la beauté de sites naturels comme Château-Gaillard ou le Mont-Saint-Michel a été dûment enregistrée par les plus grands et les meilleurs. Les monuments civils et religieux de Caen et de Rouen se taillent la part du lion. Les motifs les plus représentés par les photographes et les peintres sont le chevet de l’église Saint-Pierre de Caen joliment baigné par l’Odon et la façade de la cathédrale de Rouen.
7 - Foules
Les foules représentent, comme les vagues et les navires, une forme d’agitation que les photographes vont vouloir restituer. En effet, pas de vues urbaines possibles, sauf de secs
relevés architecturaux ou des scènes apprêtées, sans saisie du grouillement des activités humaines. Les photographes rejoignent en cela les choix contemporains des peintres, dessinateurs et graveurs. Les marchés, les sempiternels travaux des champs, les fêtes profanes ou religieuses fournissent des scènes prisées pour la peinture de chevalet, les études sur le motif, les gravures et illustrations. Aussi le dessin aquarellé d’Adolphe Hervier, élève d’Isabey et ami de Corot, La fête à Coutances réalisé en 1864, sur un thème récurrent dans son œuvre, préfigure-t-il par sa liberté de cadrage et de traitement les compositions animées de Manet ou Degas.
Parmi les daguerréotypistes, stigmatisés pour la longueur du temps de pose, existent déjà de tels choix thématiques comme en témoignent les essais de Brébisson et la plaque anonyme
du marché du Neubourg. Par la suite le même Brébisson a tenté des vues stéréoscopiques instantanées du marché de Falaise, du pèlerinage à l’église des Tourailles (Orne).
Quelques années plus tard, en 1868, le photographe amateur de Caen, Ludovic Laumonier, restitue l’agitation de la cavalcade place Saint-Sauveur avec plus d’aisance grâce à la sensibilité accrue de son négatif. Il ne s’agit plus, dès lors, d’expérimenter mais d’appliquer. Photographier la ville avec ou sans tenir compte de son activité constante devient plus banal comme en témoigne la vue de l’octroi de Dieppe par Davanne.
Les progrès de la technique photographique rejoignent les transformations de la société sous le second Empire. On peut célébrer par des images modernes les événements que sont les foires et expositions régionales qui reprennent les ambitions des expositions universelles : l’exposition agricole d’Évreux par Jules Camus en 1864 ou l’exposition régionale de Rouen en 1859 par Alphonse Maze. Les alignements de machines agricoles ou les pimpantes toiles rayées des pavillons témoignent de l’enthousiasme pour un monde en progrès dont les peintres retiendront aussi les possibilités esthétiques nouvelles.
relevés architecturaux ou des scènes apprêtées, sans saisie du grouillement des activités humaines. Les photographes rejoignent en cela les choix contemporains des peintres, dessinateurs et graveurs. Les marchés, les sempiternels travaux des champs, les fêtes profanes ou religieuses fournissent des scènes prisées pour la peinture de chevalet, les études sur le motif, les gravures et illustrations. Aussi le dessin aquarellé d’Adolphe Hervier, élève d’Isabey et ami de Corot, La fête à Coutances réalisé en 1864, sur un thème récurrent dans son œuvre, préfigure-t-il par sa liberté de cadrage et de traitement les compositions animées de Manet ou Degas.
Anonyme, Marché du Neubourg, vers 1850, daguerréotype, 10,5 x 14,6 cm. Evreux - Archives départementales de l'Eure
du marché du Neubourg. Par la suite le même Brébisson a tenté des vues stéréoscopiques instantanées du marché de Falaise, du pèlerinage à l’église des Tourailles (Orne).
Quelques années plus tard, en 1868, le photographe amateur de Caen, Ludovic Laumonier, restitue l’agitation de la cavalcade place Saint-Sauveur avec plus d’aisance grâce à la sensibilité accrue de son négatif. Il ne s’agit plus, dès lors, d’expérimenter mais d’appliquer. Photographier la ville avec ou sans tenir compte de son activité constante devient plus banal comme en témoigne la vue de l’octroi de Dieppe par Davanne.
Les progrès de la technique photographique rejoignent les transformations de la société sous le second Empire. On peut célébrer par des images modernes les événements que sont les foires et expositions régionales qui reprennent les ambitions des expositions universelles : l’exposition agricole d’Évreux par Jules Camus en 1864 ou l’exposition régionale de Rouen en 1859 par Alphonse Maze. Les alignements de machines agricoles ou les pimpantes toiles rayées des pavillons témoignent de l’enthousiasme pour un monde en progrès dont les peintres retiendront aussi les possibilités esthétiques nouvelles.
8 - Pittoresque
Les voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, dont la publication des 24 volumes supervisés par Isidore Taylor s’étend de 1820 à 1878 commencent par deux
tomes consacrés à « l’ancienne Normandie » en 1820 et 1825 et se terminent en 1878 par le troisième tome achevant le recensement normand. Le pittoresque de ces voyages ressemble plus à nos yeux à l’illustration de romans de chevalerie hugoliens ou, à l’opposé, à des relevés archéologiques que ce que nous montrent les photographies choisies ici.
Prise entre l’Angleterre et ses habitants avides d’excursions en France et un Paris plein de citadins cossus en quête de verdure et d’air marin, la Normandie est idéalement placée. Ce qui explique que son pittoresque ait été si particulièrement et précocement célébré, étudié, reproduit et traduit sous mille formes répondant à cette double fringale car les artistes ont suivi les mêmes chemins que les voyageurs. Les photographies sont les héritières du modèle fourni par le pittoresque romantique mais elles sont aussi au fil des années, contemporaines de visions picturales plus dégagées de l’histoire et de l’archéologie, plus attentives à la vie réelle, aux beautés prosaïques, aux effets de lumières. Une grande place y est faite à l’habitat vernaculaire, aux cours de ferme, au rythme graphique des colombages, à la vie paysanne. Les épreuves réalisées par Jean-Charles Langlois dans son prieuré de Saint-Hymer sont un miracle de synthèse sensible entre ces genres. Le passé est évoqué par Stéphanie Breton dans une représentation onirique et crépusculaire du château de Franqueville tandis qu’Auguste Canivet, élève de Brébisson, choisit la tranquille ferme du Ronceray, maison natale de Charlotte Corday qui revit aussi sous le pinceau des peintres d’histoire comme Paul Baudry (1860) ou Tony Robert-Fleury (1874). Le charme du vieux moulin sur le pont de Vernon, site choisi également par Monet, est accentué par la présence de jeunes enfants déguenillés ce qui en fait un parfait tableau de genre. Ce pittoresque des villages et des campagnes, bien différent de celui des côtes, mérite d’être mis en exergue et distingué des vues de monuments anciens. Car la photographie peut revendiquer clairement en abordant ce genre des ambitions artistiques qu’aucune visée documentaire ne vient parasiter.
tomes consacrés à « l’ancienne Normandie » en 1820 et 1825 et se terminent en 1878 par le troisième tome achevant le recensement normand. Le pittoresque de ces voyages ressemble plus à nos yeux à l’illustration de romans de chevalerie hugoliens ou, à l’opposé, à des relevés archéologiques que ce que nous montrent les photographies choisies ici.
Johan Barthold JONGKIND (1819-1891), Vue du port d'Harfleur, 1850, huile sur toile, 106,4 x 161,2 cm. Amiens - collection du Musée de Picardie. © Amiens - musée de Picardie / Marc Jeanneteau
9 - Grands travaux
Le pittoresque ou le patrimoine d’une Normandie quasiment immuable n’est pas le seul visage que les photographes en Normandie cherchent à dépeindre. Car à la modernité de
leur médium répond celle qui fait irruption dans une région de moins en moins enclavée. Les ports normands de Seine-Inférieure et ceux de la baie de Seine sont l’antichambre de Paris et une entrée naturelle en direction de la capitale, qui accueille en 1855 l’Exposition universelle où s’expose la crème du progrès technique.
Principales villes et ports de Normandie entament une mue, abandonnant ici leurs oripeaux médiévaux, adoptant là de nouvelles dimensions. Face à cette mutation, les photographes adoptent deux attitudes : celle de la sauvegarde des traces d’un passé qui disparaît devant leurs objectifs, celle de l’émergence de constructions nouvelles qui s’opèrent sous leurs yeux ébahis.
Au Havre, Jean-Victor Warnod immortalise l’élargissement de l’entrée du port marqué par brises lames et nouvelle jetée, tandis qu’Angelo Caccia photographie la destruction de l’emblème de la ville, la Tour François Ier, et les rues du « vieux Havre », comme Édouard Fortin en avait eu l’intuition dès 1857.
À Rouen Charles Basset assiste au remodelage d’un quartier, au percement d’une rue et à la disparition des pans de bois. L’entrée dans la modernité se fait au prix de la perte de vestiges
du patrimoine, et d’habitat ancien dont les photographies gardent témoignage.
À Fécamp, Charles Gombert est missionné par les Ponts et chaussées de photographier les travaux d’agrandissement du port et du bassin Bérigny, alors qu’Émile Letellier fait de même au Havre quand sont creusées les darses du bassin Bellot en 1886.
Symbole de modernité facilitant l’accès aux terres normandes, le chemin de fer étend son réseau depuis Paris : arrivé au Havre en 1847, à Caen en 1852, à Cherbourg en 1858 – phénomène qui captivera le pinceau de Claude Monet depuis la gare Saint-Lazare jusqu’aux campagnes normandes. L’achèvement de la ligne à Cherbourg, qui coïncide avec la fin des travaux du tout nouveau bassin Napoléon III, est le prétexte début août 1858 à une visite des souverains français doublée d’une revue navale. Avec le train et le couple impérial, arrivent les photographes parisiens tels Furne, Richebourg et Le Gray qui valorisent dans leurs clichés le lustre du moment.
leur médium répond celle qui fait irruption dans une région de moins en moins enclavée. Les ports normands de Seine-Inférieure et ceux de la baie de Seine sont l’antichambre de Paris et une entrée naturelle en direction de la capitale, qui accueille en 1855 l’Exposition universelle où s’expose la crème du progrès technique.
Principales villes et ports de Normandie entament une mue, abandonnant ici leurs oripeaux médiévaux, adoptant là de nouvelles dimensions. Face à cette mutation, les photographes adoptent deux attitudes : celle de la sauvegarde des traces d’un passé qui disparaît devant leurs objectifs, celle de l’émergence de constructions nouvelles qui s’opèrent sous leurs yeux ébahis.
Au Havre, Jean-Victor Warnod immortalise l’élargissement de l’entrée du port marqué par brises lames et nouvelle jetée, tandis qu’Angelo Caccia photographie la destruction de l’emblème de la ville, la Tour François Ier, et les rues du « vieux Havre », comme Édouard Fortin en avait eu l’intuition dès 1857.
À Rouen Charles Basset assiste au remodelage d’un quartier, au percement d’une rue et à la disparition des pans de bois. L’entrée dans la modernité se fait au prix de la perte de vestiges
du patrimoine, et d’habitat ancien dont les photographies gardent témoignage.
À Fécamp, Charles Gombert est missionné par les Ponts et chaussées de photographier les travaux d’agrandissement du port et du bassin Bérigny, alors qu’Émile Letellier fait de même au Havre quand sont creusées les darses du bassin Bellot en 1886.
Symbole de modernité facilitant l’accès aux terres normandes, le chemin de fer étend son réseau depuis Paris : arrivé au Havre en 1847, à Caen en 1852, à Cherbourg en 1858 – phénomène qui captivera le pinceau de Claude Monet depuis la gare Saint-Lazare jusqu’aux campagnes normandes. L’achèvement de la ligne à Cherbourg, qui coïncide avec la fin des travaux du tout nouveau bassin Napoléon III, est le prétexte début août 1858 à une visite des souverains français doublée d’une revue navale. Avec le train et le couple impérial, arrivent les photographes parisiens tels Furne, Richebourg et Le Gray qui valorisent dans leurs clichés le lustre du moment.
Claude MONET, Train dans la campagne, vers 1870, huile sur toile, 50 x 65,3 cm. Paris - Musée d’Orsay - œuvre récupérée à la fin de la Seconde Guerre mondiale et confiée à la garde des musées nationaux en 1950. © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski | Jules CAMUS, Locomotive du chemin de fer de l’ouest, 1864, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion, 27,1 x 38,5 cm. Evreux - Archives départementales de l'Eure |
10 - Photoclubs
Cinquante ans après les premières photographies réalisées en Normandie, une nouvelle génération de photographes bénéficie de la mise au point de procédés désormais plus simples d’utilisation. Après 1878, les plaques au gélatino-bromure vendues prêtes à l’emploi ou les films souples, en 1888, dispensent désormais le photographe débutant de fastidieuses opérations préparatoires, ce qui facilite la pratique en amateur de la photographie artistique.
La démocratisation de la photographie est esquissée quand les passionnés plus nombreux s’organisent en clubs et sociétés pour se réunir, pour partager leur art, leurs travaux et disposer d’ateliers et de matériels facilement accessibles. Ils présentent leurs clichés lors d’expositions et de concours. Des cours sont dispensés aux débutants. Un réseau de sociétés photographiques se tisse en France : c’est au Havre que se tient en 1893 la 2e session de l’Union nationale des sociétés photographiques de France, Caen accueille la 3e, en 1894.
À travers la Normandie, quatre photo-clubs ou sociétés photographiques ont vu le jour à peu de temps d’intervalle. Un an après celui de Paris, le photo-club du Havre est créé par le docteur Perrichot en juin 1889 : deux ans après sa fondation, il réunit déjà 267 membres dont 39 femmes.
Le Photo club rouennais est créé en septembre 1891 autour du naturaliste Henri Gadeau de Kerville et de Nicolas Oberlender ; ses membres effectuent des excursions photographiques dont rend compte son bulletin Normannia en 1895. Réunissant 150 membres, la Société Caennaise de photographie voit le jour en décembre 1891, autour du docteur Fayel et de la figure tutélaire de Frédéric Berjot, pharmacien chimiste ami d’Edmond Bacot.
En mars 1892, autour du professeur de physique Adrien Soret, la Société havraise de photographie (SHP) parrainée par Paul Nadar, Alphonse Davanne et Gabriel Lippmann se place dans les traces de la génération Macaire, retenant la silhouette de la jetée nord sur le frontispice dessiné par Géo Bariau de son bulletin lancé en 1894. Elle compte alors 350 membres : les jeunes de moins de 16 ans y sont admis, Édouard Fortin y fait figure d’ancêtre.
Le comptable Paul Émile Joseph Wanhout et le courtier en bourse, Louis Wittorski sont membres de la SHP : avec des sujets plus variés, leurs photographies prises sur le vif illustrent activités des habitués de la plage et loisirs nouveaux, comme le feraient des films d’amateur. Précurseurs, professionnels et amateurs éclairés ne sont plus les seuls créateurs d’images. Une autre histoire commence.
La démocratisation de la photographie est esquissée quand les passionnés plus nombreux s’organisent en clubs et sociétés pour se réunir, pour partager leur art, leurs travaux et disposer d’ateliers et de matériels facilement accessibles. Ils présentent leurs clichés lors d’expositions et de concours. Des cours sont dispensés aux débutants. Un réseau de sociétés photographiques se tisse en France : c’est au Havre que se tient en 1893 la 2e session de l’Union nationale des sociétés photographiques de France, Caen accueille la 3e, en 1894.
À travers la Normandie, quatre photo-clubs ou sociétés photographiques ont vu le jour à peu de temps d’intervalle. Un an après celui de Paris, le photo-club du Havre est créé par le docteur Perrichot en juin 1889 : deux ans après sa fondation, il réunit déjà 267 membres dont 39 femmes.
Le Photo club rouennais est créé en septembre 1891 autour du naturaliste Henri Gadeau de Kerville et de Nicolas Oberlender ; ses membres effectuent des excursions photographiques dont rend compte son bulletin Normannia en 1895. Réunissant 150 membres, la Société Caennaise de photographie voit le jour en décembre 1891, autour du docteur Fayel et de la figure tutélaire de Frédéric Berjot, pharmacien chimiste ami d’Edmond Bacot.
En mars 1892, autour du professeur de physique Adrien Soret, la Société havraise de photographie (SHP) parrainée par Paul Nadar, Alphonse Davanne et Gabriel Lippmann se place dans les traces de la génération Macaire, retenant la silhouette de la jetée nord sur le frontispice dessiné par Géo Bariau de son bulletin lancé en 1894. Elle compte alors 350 membres : les jeunes de moins de 16 ans y sont admis, Édouard Fortin y fait figure d’ancêtre.
Le comptable Paul Émile Joseph Wanhout et le courtier en bourse, Louis Wittorski sont membres de la SHP : avec des sujets plus variés, leurs photographies prises sur le vif illustrent activités des habitués de la plage et loisirs nouveaux, comme le feraient des films d’amateur. Précurseurs, professionnels et amateurs éclairés ne sont plus les seuls créateurs d’images. Une autre histoire commence.
11 - En contrepoint...
Les collections du MuMa sont riches de nombreuses oeuvres photographiques. En forme de contrepoint contemporain à l’exposition « Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts », la sélection s’est naturellement portée vers des oeuvres évoquant notre territoire normand, privilégiant la couleur et les grands formats. Elle met en lumière, pour une part, des auteurs dont l’approche pourrait être qualifiée de « documentaire » (Thibaut Cuisset et Jem Southam pour le premier accrochage, Matthias Koch et Vincenzo Castella pour le second) : frontale ou englobante, l’image fige un état du paysage à un instant T, permettant à notre regard de spectateur de se concentrer, là sur un état de ce paysage, ici de s’y plonger tout entier. Répondent à ces photographies des œuvres caractérisées par un travail dans lequel l’artiste intervient dans le paysage et/ou sur l’image (Jacqueline Salmon, Philippe de Gobert, Xavier Zimmermann). Car aucune image ne serait être objective ou neutre. Toujours, il y a, derrière le viseur, un opérateur qui cadre, règle les paramètres… Certains se jouent des effets miroirs de la photographie, d’autres de l’illusion de réalité, ou bien encore dressent des ponts entre la technique picturale et la technique photographique. Comme pour mieux donner à voir le geste de l’artiste.
Jem SOUTHAM (1950), Senneville-sur-Fécamp, série « The Rockefalls of Normandy », 2007, photographie couleur. © MuMa Le Havre / Jem Southam
12 - Grégory Chatonsky, La ville qui n’existait pas
Après avoir réinventé lors de la saison passée l’histoire du Havre de 1895 à 1971, au moyen d’images monumentales inscrites sur différentes façades des immeubles Alcéane, Grégory Chatonsky poursuit la matérialisation de cette « réalité alternative », pensée avec l’aide d’une intelligence artificielle, à travers la ville. Trois projets voient le jour en 2024 : tout d’abord, une série de volumes de béton violet imprimés en 3D, qui vient ponctuer l’espace public, en écho aux formes que l’on découvrait sur les 25 000 cartes postales uniques distribuées en 2023.
Dans la deuxième proposition de l’artiste, ces cartes postales font l’objet d’une installation au MuMa, dans le prolongement de l’exposition « Photographier en Normandie », proposée
par le Musée dans le cadre de Normandie Impressionniste. On y découvre la voix de l’artiste, synthétisée par l’intelligence artificielle, décrire et analyser les 25 000 images des cartes postales diffusées en 2023. Pour entraîner l’intelligence artificielle, l’artiste l’a nourrie de textes critiques et de textes historiques sur l’histoire de l’art et de la photographie.
Enfin, Grégory Chatonsky propose un film d’animation à nouveau co-créé avec l’aide d’un IA, qui met cette fois en mouvement de nombreuses scènes que l’on pouvait découvrir sur les cartes postales de cette « Ville qui n’existait pas ». Le film, à la fois poétique et inquiétant, totalement surréaliste, est projeté au sein de la galerie du Théâtre de l’Hôtel de
Ville.
Grégory Chatonsky est un artiste francocanadien. Pionnier du Netart et de l’IA, il fonde Incident.net en 1994. Son exploration de la matérialité numérique le mène à interroger les ruines et les flux dans les années 2000. À partir de 2009, il expérimente l’IA, suivi d’un séminaire à l’ENS Ulm sur l’imagination artificielle où il est artiste-chercheur invité. Ses oeuvres évoquent l’extrémité de l’espèce humaine où l’hypermnésie du Web et l’IA apparaissent comme une tentative pour préserver la possibilité d’un avenir. Le travail de Grégory Chatonsky constitue une vaste exploration des relations ambiguës entre les technologies et l’existence. Recourant à une multitude de médiums, aussi bien numériques que traditionnels, l’artiste a développé un corpus où le langage, le corps, la ville, l’extinction, le réseau, le paysage, la mémoire, etc. tissent une fiction sans narration. Chaque nouvelle œuvre est une itération qui prend matériellement place dans une structure modulaire qui décompose le monde. L’ensemble du corpus est l’espace latent d’une intelligence artificielle.
Il a exposé au Palais de Tokyo, Centre Pompidou, MOCA de Taipei, Museum of Moving Image, Hubei Wuhan Museum, etc. Ses oeuvres font partie de collections privées et publiques (CNAP, FAC, Hubei Museum, Musée Granet, etc.)
© Gregory Chatonsky
par le Musée dans le cadre de Normandie Impressionniste. On y découvre la voix de l’artiste, synthétisée par l’intelligence artificielle, décrire et analyser les 25 000 images des cartes postales diffusées en 2023. Pour entraîner l’intelligence artificielle, l’artiste l’a nourrie de textes critiques et de textes historiques sur l’histoire de l’art et de la photographie.
Enfin, Grégory Chatonsky propose un film d’animation à nouveau co-créé avec l’aide d’un IA, qui met cette fois en mouvement de nombreuses scènes que l’on pouvait découvrir sur les cartes postales de cette « Ville qui n’existait pas ». Le film, à la fois poétique et inquiétant, totalement surréaliste, est projeté au sein de la galerie du Théâtre de l’Hôtel de
Ville.
Grégory Chatonsky est un artiste francocanadien. Pionnier du Netart et de l’IA, il fonde Incident.net en 1994. Son exploration de la matérialité numérique le mène à interroger les ruines et les flux dans les années 2000. À partir de 2009, il expérimente l’IA, suivi d’un séminaire à l’ENS Ulm sur l’imagination artificielle où il est artiste-chercheur invité. Ses oeuvres évoquent l’extrémité de l’espèce humaine où l’hypermnésie du Web et l’IA apparaissent comme une tentative pour préserver la possibilité d’un avenir. Le travail de Grégory Chatonsky constitue une vaste exploration des relations ambiguës entre les technologies et l’existence. Recourant à une multitude de médiums, aussi bien numériques que traditionnels, l’artiste a développé un corpus où le langage, le corps, la ville, l’extinction, le réseau, le paysage, la mémoire, etc. tissent une fiction sans narration. Chaque nouvelle œuvre est une itération qui prend matériellement place dans une structure modulaire qui décompose le monde. L’ensemble du corpus est l’espace latent d’une intelligence artificielle.
Il a exposé au Palais de Tokyo, Centre Pompidou, MOCA de Taipei, Museum of Moving Image, Hubei Wuhan Museum, etc. Ses oeuvres font partie de collections privées et publiques (CNAP, FAC, Hubei Museum, Musée Granet, etc.)
EN SAVOIR +
Publications
Photographier en Normandie
Un dialogue pionnier entre les arts Catalogue d’exposition
MuMa musée d’art moderne André Malraux, Le Havre, 25 mai - 22 sept. 2024
Édition : In Fine, 320 pages, Format 22,5 x 28,5 cm, Cartonné contrecollé, Prix 35 €
ISBN : 978-2-38203-175-9
Un dialogue pionnier entre les arts Catalogue d’exposition
MuMa musée d’art moderne André Malraux, Le Havre, 25 mai - 22 sept. 2024
Édition : In Fine, 320 pages, Format 22,5 x 28,5 cm, Cartonné contrecollé, Prix 35 €
ISBN : 978-2-38203-175-9